Le mariage des parents

Armand, sa mère et son père à Grasse, 1933.

LES HISTOIRES DE FAMILLE GRANDISSENT SOUVENT AUTOUR D’UN SECRET.

Les histoires de famille perpétuent généralement l’histoire du secret dans la répétition, souvent transgénérationelle de la chose cachée. Comme la particularité du secret est de ne pouvoir être dit, cette répétition se raconte, autrement. Parfois sous forme d’une difficulté de vivre, un symptôme, d’autres fois, c’est le dépassement, la résilience qui prévaut. Sa force interpelle toujours l’origine, la source, le fondement.
 
Remonter vers la source, c’est revenir au début. Au début de l’histoire. Pour voir. Y a-t-il une histoire cachée ?
 
Quelquefois les secrets trouvent la meilleure place : celle la plus visible.
 
ARMAN ? Qu’est-ce qui te fonde ?

Armand et sa mère à Grasse

Armand et sa mère à Grasse, 1933.

ARMAN ? Qu’est-ce qui te fonde ?

Arman naît à Nice en 1928. Nous ne savons pas ce qui a présidé à sa naissance. Souvent on ne sait pas, il n’y a pas de texte. Pour Arman, c’est comme souvent.
 
Sa mère, Marie Marguerite Jacquet venait de la campagne roannaise et débarque à Nice avec sa sœur. Ce serait une fugue. Elle trouve un travail chez un boulanger pâtissier. 
 
Son père, Antonio Francisco Fernandez, originaire d’Algérie, tombe amoureux d’elle en allant chercher son pain.
 
Une mésalliance a été la raison du départ des grands-parents paternels d’Arman en Algérie. Sa grand-mère, aristocrate s’est unie avec un roturier. De leur union vont naître quatre enfants : le premier appelé Armando décède de maladie dans ses jeunes années, Antonio, le deuxième s’occupera toute sa vie de ses deux sœurs en état de désordre mental.
 
C’est suite au décès de l’enfant et des problèmes de santé des autres que la famille riche est rentrée d’Algérie. Marguerite, enfant de parents paysans pauvres fait miroir au modèle d’origine : la mésalliance. Antonio cache sa liaison avec Marguerite.
 
Après la naissance d’Arman, elle vivra seule avec lui à Nice, puis dans un hôtel à Grasse où Antonio leur rend des visites clandestines pendant cinq ans. Dans cette cinquième année, Antonio tombe malade trois semaines sans pouvoir donner de nouvelles, Marguerite a eu très peur. C’est à la suite de cet évènement que l’officialisation de leur liaison se fait.
 
Arman vivait avec sa mère dans une relation très fusionnelle. Il dessine, beaucoup.
Il partage ses dessins avec le personnel et les clients de l’hôtel qui admirent sa dextérité. Et aussi les histoires qu’il raconte autour de sa production. Il décrira cette période comme un paradis perdu.
Armand et Micheline

Armand et Micheline à un corso fleuri à Nice, c. 1935.

Arman a 5 ans

À cinq ans, lorsqu’il rencontre ses grands-parents paternels, c’est un choc éducatif : sa grand-mère lui ordonnait de se tenir droit sur sa chaise à table sans bouger car la chaise faisait du bruit. Seul avec sa mère, il était le roi. Au mariage de ses parents, il rencontre la contrainte : c’est ainsi qu’il perd le paradis… Son père joue du violoncelle et peint. Sa mère s’occupe de leur appartement qui jouxte celui des parents de Micheline, son amie d’enfance.
 
 
Georgette, la mère de Micheline échange de fenêtres de cuisine à l’autre les recettes. Elles deviendront des amies proches ; c’est le seul lien amical à part celui à sa sœur Louise, connu de Marguerite.
 
C’est à l’âge de cinq ans qu’Arman rencontre Micheline qui va vers ses deux ans. Ils jouent ensemble au square et la différence d’âge n’empêche pas leur complicité de se créer sans se démentir puisqu’Arman ira ensuite dans la même école qu’elle pour ne pas en être séparé (la légende du cours de filles fait partie des reconstructions qui adviennent lorsqu’on refait l’histoire qui devient ainsi conte de fées… Dans les faits, le cours des demoiselles Poisât était mixte mais Arman n’y voyait que les filles, déjà !)
Il a 10 ans lorsque la famille de Micheline part à Paris. Les parents de Micheline vont divorcer.
 

 

Portrait d'Armand à 20 ans

Armand à 20 ans, 1948.

Arman a 20 ans

Micheline est de retour à Nice avec sa mère, sans un sou après cette séparation. Georgette, couturière crée un atelier de confection dans son appartement. 
 
Arman a rebaptisé ses parents : Fatheur tient le magasin de meuble « Au Foyer » et Pachatte reste femme de leur foyer à eux. Il trouve son père faible de caractère et reste très complice avec sa mère qui, souriante, agréable, semble soumise à la relation à Fatheur. C’est avec Arman qu’elle se déploie dans une relation où elle s’affirme : très proche dans leur passion commune animalière ; poules, lapins, araignées, c’est comme cela vient. Le rire de Pachatte reste le souvenir d’elle qui la qualifie.
 
Leur complicité dans ce lien aux animaux les verra tous deux perpétuer leur relation privilégiée et exclusive du début. Fatheur reste exclu : une figure un peu en retrait.
Pachatte et ses petits enfants

Pachatte et ses trois petits-enfants au Méou, c. 1960.

Le couple Fatheur-Pachatte

Le couple Pachatte-Fatheur va grandir et vieillir dans un climat de culpabilité : en 1956 lors d’un voyage en Autriche, ils ont un accident de voiture où Pachatte, passagère, est grièvement blessée. Fatheur refuse la mise en place des soins en urgence là bas et la rapatrie à Nice. C’est suite à ce temps perdu qu’elle va perdre un morceau d’os d’une jambe qui laissera une infirmité (elle a une jambe plus courte que l’autre). Fatheur restera toujours aux petits soins pour elle. Quoiqu’étonnamment, lorsqu’ils achètent le terrain dit « Le Méou » à Vence, pour leur retraite (qui deviendra le Bidonville), Pachatte avait demandé pour la construction de leur maison un balcon et une cheminée. Elle n’obtiendra l’un et l’autre que des années plus tard à l’agrandissement de la maison sous forme d’une pièce supplémentaire…
 
Si cette culpabilité laissait croire à une position plutôt dominante de Pachatte, au fond, rien n’est moins sûr. Le creuset de cette complicité entre Arman et sa mère s’est perpétué dans ce flou des places d’autorité. Pachatte restera une mère/amie/complice toujours (même des bêtises d’Arman). Elle sera une compagne de jeux (aussi dans ceux un peu limite lorsqu’il utilise pétards ou grenades dans sa période activiste d’après-guerre…)
 
À l’adolescence, Pachatte dira de son fils « — Faites attention à vos poules, je lâche mon coq ! ».
 
Son souhait était un mariage avec Micheline auprès de qui Arman fera une demande en bonne et due forme bouquet de roses rouges, qu’elle décline. Tandis qu’il cultive une liaison avec une petite main de l’atelier de couture, Marianne, plus âgée que lui. Il rencontre Éliane, qui fait elle aussi des travaux de couture pour la survie.
 
Musicienne, elle veut devenir compositeur. Pachatte n’a jamais accepté cette relation amoureuse avec Éliane qui va s’écrire dans la répétition du secret d’origine : 
Celle d’une histoire cachée avec une enfant.

LES MONTRES

1960
TIRAGE: Unique
TECHNIQUE: Accumulation
DIMENSIONS EN MM.: 330 x 325 x 100
DESCRIPTION: Montres-oignons dans une boîte en plastique

« – JE DESSINAIS DES MONTRES ».

Arman va vers ses 25 ans à leur mariage où Éliane est enceinte de leur deuxième enfant. Ils feront un déjeuner très protocolaire jeunes mariés et beaux-parents. Ils ne parviendront jamais à tisser des liens plus avant. Pachatte veut garder son lien privilégié à son fils.

Lorsqu’Arman habite avec Éliane dans leur premier appartement Parc de la Californie alors qu’il travaille au magasin de meubles de son père pour gagner des subsides, il pêche la nuit au harpon dans la Méditerranée pour nourrir sa famille. Il continue de déjeuner (déjà végétarien) chez sa mère qui s’occupe d’ailleurs toujours de son linge.

Dans le living-room qui fait aussi leur chambre à coucher et l’atelier à peindre, il dessine sur les murs. Éliane passait ensuite les murs au case arti (enduit pour préparer les toiles) pour les reblanchir. Dans ces occasions, il parle de ces cinq premières années d’enfant qui dans la légende familiale sont blotties dans un secret. Il lui peint le regret qui lui reste des moments où il racontait au personnel et aux clients de l’hôtel les histoires autour de ses dessins.

« — Je dessinais beaucoup de montres… ».

Serait-ce là la source ? L’origine du lien à l’objet qu’Arman a perpétué tout au long de son parcours ?

ARMAN, AVEC L’OBJET, IL RACONTE TOUJOURS UNE HISTOIRE.

Ce que va montrer l’Histoire, c’est qu’un cycle de temporalité et un modèle relationnel au féminin se trouve initialisé.

Il a cinq ans lorsque sa mère et et son père se marient :

« — J’ai perdu le paradis ».

Le lien fusionnel mère-fils subit une transformation en même temps que se construit le lien avec Micheline (qui va perdurer toute sa vie). Lien dans lequel la différence d’âge (grande à cet âge : Arman a cinq ans et Micheline pas encore deux ans !) fait aussi une grande différence de maturité (physique et psychologique). Ici, c’est lui qui devient l’adulte dans une relation où il fait les passations pédagogiques.
Dans sa relation jusque là à sa mère, exclusive et de proximité, c’est lui qui apprenait de l’autre pour grandir ; dans son amitié fusionnelle (c’est son modèle de lien…) à Micheline, les rôles sont inversés.

Ce qui reste commun, c’est la proximité fusionnelle où les places peuvent s’interchanger quant à qui apprend et qui enseigne.

Lorsque cinq ans plus tard, Micheline part à Paris, cet éloignement reformule une séparation dans le hasard d’une temporalité identique.
Ces deux fois cinq ans avec pour finalité de se séparer, dans un miroir qui inverse les places et les rôles, vont figurer une décennie. Elle fera modèle temporel aux grandes histoires d’amour d’Arman.

Cette temporalité d’un cycle de 10 ans formate une temporalité affective que l’on retrouvera tout au long de sa vie.
Tout comme cette perméabilité des places de maître et d’élève dans le lien préfigure un rapport affectif qui ne se démentira pas.
Avec pour effet de voir rejaillir dans son développement de créateur l’effet de cette dialectique relationnelle : il a grandi dans l’apprentissage d’une grande capacité d’écoute et être écouté, dans l’expérience profonde de l’empathie à l’autre (talent que l’on retrouvera chez lui en continu : il « sait » l’autre et sait aussi en témoigner !).

 

 

Si la grandeur de l’œuvre a forcément à voir avec la capacité de contacter l’autre et de maîtriser le chemin à le trouver et se faire comprendre, Arman a cultivé d’origine ce potentiel à regarder et être regardé, compris et se faire comprendre.
Son œuvre et la place qu’il a prit dans l’histoire de l’Art Contemporain montre bien qu’il a su y faire avec son public : le spectateur sait « faire le tableau » qu’Arman raconte en le montrant.

 


Baiser d'ElianArman

ElianArman, c. 1957.

« S’IL VOUS PLAIT, DESSINE-MOI ARMAN ».

Il avait douze, treize ans lorsqu’il décide de devenir peintre.
 
Pas de hautes études, juste les Arts : Décos à Nice et l’École du Louvre à Paris.
C’est à 22 ans qu’il rencontre Éliane à Nice.
 
Elle aussi : elle a fugué pour fuir des parents trop autoritaires.
Elle démêle ses histoires sentimentales de la vingtaine : ils se comprennent…
 
Elle jouait aux cartes : des réussites.
Au Café des Arts.
Ils aiment tous les deux les clins d’œil du destin.
L’intitulé du lieu fera le départ de leur randonnée amoureuse.
Chacun ne démentira pas le signe : les Arts les rendront tous deux célèbres.
 
L’histoire ? Il était une fois…
C’est un tableau : 9, Parc de la Californie.
Pas loin du bord de mer et de l’aéroport Nice Côte d’Azur.

Lettre d’Arman à Éliane Radigue

Non datée. 1952.

LE CAFÉ DES ARTS.

Ils se rencontrent au Café des Arts.
Elle dit que le premier instant, c’est l’échange de leur regard : « — son regard... »
 
Intensité qui dessine 20 ans d'une correspondance entre ÉLIANE et ARMAN. 
Il a 22 ans, elle a 19 ans.
Il va la raccompagner en poussant sa bicyclette.
Ils parlent, beaucoup.
 
Comme on découvre l’étendue des affinités.
Il lui raconte comment il navigue dans des préoccupations spirituelles :
« ... — j’imagine faire vœu de chasteté ».
 
On sait la part du reste de cette question !!!!
 
À la porte-cochère, les dés sont jetés : le prochain rendez-vous fixé, il l’embrasse à pleine bouche...
La première de la filiation fait instantané à la fougue du coup de foudre...
 
Il décide de précéder l’appel sous les drapeaux, pour que son service militaire dure moins de temps que les obligatoires 18 mois.
 
Engagé et séparé d’elle, il écrit chaque jour pour lui dire tout.

Envelope avec un rehaut à la main d’Arman

Courrier posté le 18 mars 1953.

ILS SE MARIÈRENT ET...

ARMAN épousa ÉLIANE en février 1953 à la mairie de Nice. Il était en train de finir son service militaire.
 
Il était surnommé par ses supérieurs hiérarchiques « caporal jamais là » ou encore « caporal courant d’air ».
 
À cause de son idée fixe qui dura tout au long de sa période militaire (il était déjà bien lui, constant dans ses déterminations !) : faire le mur ou se faire porter pâle pour aller le plus souvent possible retrouver sa belle.
Ou plutôt et sa belle et sa première fille ; d’ailleurs, dans la foulée, sa deuxième fille fut mise en route !
 
Alors, avec le mariage, il était bien content : une nouvelle raison d’obtenir une permission, et cette fois bien officielle !!!
 
D’ailleurs il dira à son chef qu’à quelques semaines près, de toute façon, il aurait obtenu une nouvelle dérogation de présence, cette fois pour une naissance !
 
C’est « le mariage du caporal et de la couturière » qui « tirait l’aiguille tandis que lui vendait les cigarettes qu’il ne fumait pas pour fabriquer des subsides ».
Il finit son service militaire et ils s’installèrent à Nice au « Parc de la Californie » avec déjà une jolie famille !
Armand et les trois mousquetaires

Arman et ses trois enfants, Françoise (dite Marion), Anne et Yves, c. 1957.


Anne et Farouk

Anne et le chien Farouk, c. 1958.

UN SACRÉ TOURNANT.

Quand arrive janvier 1956, ARMAN qui peint depuis l’installation familiale Parc de la Californie à Nice, fait sa première exposition.

Face à l’église Notre Dame de Paris, à la galerie du Haut Pavé, il présente ses gouaches. Claude Rivière dirigeait la galerie ; ce n’est pas un énorme succès, mais c’est « le pied à l’étrier ».

Arman et Éliane en profitent pour récupérer leur première voiture qui tiendra une place d’importance dans leur histoire (jusqu’au bout Arman aimait à en parler dès qu’un interlocuteur l’interrogeait sur cette période de sa vie).

La question de l’argent est omniprésente durant cette période, ainsi que pour leurs allers et retours à Paris. Autour de cette exposition, ils vont chercher leur 2CV, qui fera leur voyage de retour à Nice. Dans l’un des hivers les plus rudes depuis des décennies, avec des congères partout et Arman (que l’on reconnaît bien là !) décidé à passer outre toute condition contraire à son désir : rentrer chez lui !

Entre Aix-en-Provence et Cannes, des cadavres de voitures sont plantés partout dans les congères. La légende familiale dit qu’ils furent les seuls à passer ce jour-là pour arriver à destination !

Et trouver à l’arrivée la première collection d’Arman complètement anéantie : celle de ses plantes grasses. Les succulentes n’ont pas résisté à l’absence des maîtres des lieux et aux intempéries.

Annonce métaphorique de toutes les galères qui vont suivre en cette année 1956 ?

Anne, la cadette doit subir une importante opération chirurgicale de la hanche.

Les parents d’Arman auront un terrible accident de voiture.

Quelques jours après la sortie de Anne de l’hôpital, on diagnostique à Éliane une tuberculose qui doit l’éloigner.

Elle part en sanatorium et toute une organisation familiale va devoir se mettre en place.

Cette séparation va durer un an.

Farouk, le compagnon à quatre pattes, malade, doit être euthanasié.

Lettre d’Arman à Éliane Radigue

Non datée. 1956.


Lettre d’Arman à Éliane Radigue

3 octobre 1957.
 

LE CACHET DE LA POSTE FAIT FOI.

La fin d’une légende...

Et l’importance posthume des lettres d’ARMAN à ÉLIANE pour écrire l’Histoire, fidèlement...

Sur ce fameux carton d’invitation de 1958, une faute typographique de l’imprimeur transforme le nom en « ARMAN » dit la légende.

Dans une lettre du 10 décembre 1956, Éliane est en sanatorium pour soigner sa tuberculose. Dans le déchirement de la séparation familiale, Noël approche et l’idée, c’est de réussir à faire le regroupement tous ensemble. La lettre dit l’organisation pour les retrouvailles à Paris et, pour la première fois, une question est soulevée qui concerne le nom d'Armand autour de sa signature. Simple coquetterie ? Ou début du chemin identitaire de ce grand artiste qui a marqué son temps ?

L’Histoire est en marche !

Dans une lettre du 3 octobre 1957, la décision est attestée dans cette première signature qu’il gardera jusqu’à la fin de sa vie.

À sa manière !

On le reconnaît bien dans l’humour visuel malicieux qui lui ressemble tant...

La décision est accomplie ce 9 octobre 1957 par le cachet de la poste qui fait foi !

En mai 1958, la légende de l’erreur typographique est venue reconstruire la vérité historique.

Tout était prêt AVANT.

Tout comme ARMAN n’allait jamais dans son atelier sans savoir préalablement ce qu’il allait y faire dans son célèbre « — AU BOULOT !» Pour attendre dans l’appétit de la réalisation de l’idée, la rencontre savoureuse de l’expérimentation à réajuster les imprévus du parcours et fabriquer « les issues » du corps à corps avec la matérialisation.

Et trouver L’ŒUVRE.

Dans l’activité d’œuvrer.


Portrait d'Éliane

Éliane, c. 1957.

RÉSULTAT DES COURSES.

14 Novembre 1957 ; c’est le tremplin pour ÉLIANE RADIGUE qui est sur le chemin de sa légende personnelle : la musique. Elle est à Düsseldorf, en Allemagne pour tracer dans sa carrière de musicienne.

ARMAN est seul à Nice à s’occuper des trois enfants (6, 4 et 3 ans) dans un contexte de difficultés financières et organisationnelles...

À ce moment, c’est ÉLIANE qui a le vent en poupe dans son travail. Ils ont réalisé tous les deux qu’ils ne peuvent plus partir ensemble autant qu’avant, les enfants sont scolarisés. Père et mère sont face aux questions logistiques que chacun connaît en la circonstance lorsque les deux travaillent...

La situation matérielle reste problématique et ARMAN incite ÉLIANE à profiter des opportunités : il lui demande de foncer pour réussir et assurer ainsi possiblement mieux l’avenir.

Ce mois de novembre 1957, lorsque Éliane rentre à Nice dans la maison du Parc de la Californie, c’est la chute de ses espoirs de réalisations personnelles...

La vie courante ne se passe pas bien, les enfants sont perturbés dans un désordre tout autant dans l’organisation alimentaire que dans le rythme général.

Le père est plutôt déprimé de la difficulté à traverser le quotidien, sans compter ses frasques sentimentales. Arman se console dans d’autres bras de l’absence de sa belle...

Éliane va prendre une décision drastique pour ce qui la concerne : renoncer à partir pour assumer la continuité de la vie familiale.

RÉSULTAT DES COURSES : ce sera l’envol d’Arman vers ce que l’on sait !...


Voyage en Iran

Éliane, le père Stève et la 2 CV, 1958.

LE VOYAGE EN IRAN.

Leur voyage en Iran, combien ARMAN aimait à l’évoquer et le raconter ! 
 
Nous sommes en novembre 1958, un an après qu’ÉLIANE ait renoncé à sa propre trajectoire professionnelle dans la musique.
 
Tout au long de l’année, c’est Arman qui a régulièrement fait des allers-retours à Paris pour multiplier les contacts, trouver des expositions, Nice n’offrant pas de débouchés.
Il fait des « CACHETS » et commence les « ALLURES D’OBJETS ».
 
L’ébauche de l’idée de s’installer à Paris se profile, tandis qu’un de leur ami, un frère dominicain : le père STEVE, épigraphiste (qui a pour objet l’étude des inscriptions) doit repartir pour cette fin d’année en mission à Suze dans le sud de l’Iran. 
L’idée de le raccompagner et de faire ce voyage ensemble est adoptée un soir.
Comme le projet d’une aventure un peu folle : la voiture, LA 2 CV, devrait permettre de s’y rendre en 8 jours et autant pour le retour.
Ils s’appuient dans la logistique sur l’expérience d’un autre de leurs amis Robert GODET qui vient de faire en 2 CV la route jusqu’au Tibet.
 
Ils sont certains d’être revenus pour Noël.
 
La voiture est chargée de la tente pour camper en dehors des haltes dans les monastères chez les pères lazaristes, de deux roues de secours, du matériel de plongée pour se nourrir de poissons, sans oublier un rouleau de grands « CACHETS » qui occupe toute la longueur, du siège avant à celui arrière de la 2 CV.
La tentative de mettre en place une exposition fait partie du voyage.
Une carabine finalise les bagages pour le cas de difficultés à traverser l’instabilité de certaines régions.
 
Au début, tout se passe plutôt bien, jusqu’à la première panne où un cardan rend l’âme.
Avec les 8 jours à attendre sur place la pièce qui doit venir de France.
 
Arman remonte la pièce et..., il ne fait jamais demi-tour...
 
La traversée des plateaux d’Anatolie entre congères et effondrement de neige sera à la mesure du passage du gué qu’il faudra sauter après avoir vidé la 2 CV de son contenu à dos de tronc d’arbre. Pour qu’Arman prenne son élan dans la 2 CV allégée et atterrisse de l’autre bord : plus de suspension du côté droit de la voiture...
 
Qu’à cela ne tienne, ils arrivent à Téhéran avec la voiture chargée toute à gauche...
Pour 8 jours de plus d’immobilisation...
 
Cela faisait déjà un mois qu’ils étaient partis.
 
Ce froid-brûlant va durer trois mois au final.
 
Ils ne réussiront pas à se faire rapatrier par bateau, mais laisseront par reconnaissance pour l’hébergement à cet hôte français, un grand « CACHET ».
Ils apprendront ensuite comment celui-ci, très content en a fait « de magnifiques abat-jours » !!!
 
Le reste des « CACHETS » seront offerts sur le retour aux pères lazaristes qui les accueillent...
 
Leur voyage à rebours ne dépareillera pas l’aller... 
Crevaison deux fois par jour ; ils restent bloqués dans la neige avant de choisir de longer la Mer Noire.
Éliane voyage la carabine sur ses genoux.
 
Ils traverseront d’une traite et sans dormir l’Italie pour crier victoire au panneau FRANCE à la sortie du col de Tende.
 
Ils arrivent avec la 2 CV en miettes. Arman, devenu spécialiste la connaît par cœur et décide de tout démonter pour tout remplacer.
Pendant ce périple, son œil exercé de collectionneur avait sélectionné une série de bronzes du Louristan qu’il vend pour rembourser leurs dettes.
Photo d'Arman

Arman, 1958.


Éliane et Arman

 c. 1959.

TREMPLIN.

Ce début de l’année 1959 verra, avec le retour du voyage en Iran d’ÉLIANE et d’ARMAN, la finalisation de la décision d’Éliane de renoncer à sa carrière professionnelle de musicienne.

 

Les galères générées par les absences parentales la ramènent au statut de « femme au foyer » pour entourer les trois enfants.

 

C’est Arman qui va rythmer les voyages à Paris pour avancer dans la mise en place de projets autour de son propre travail. Il visite plein de galeries, rencontre du monde pour convaincre, préparer, défendre et matérialiser des expositions.

Et grâce à toute cette énergie, les choses vont se mettre en place.

 

Le service de l’ORTF va consacrer un film aux ALLURES D’OBJETS. Jacques BRISSOT en est le réalisateur et Pierre SHAEFFER en compose la musique.

 

À la fin de l’année, Arman fait sa première exposition personnelle à Milan à la Galerie Apollinaire.

 

Mais ce qui va marquer résolument cette année, c’est qu’Arman réalise ses premières POUBELLES et ses premières ACCUMULATIONS.

 

Il va faire des compositions dans des boîtes en se servant de déchets pour chercher à reconstituer et faire trace d’une sorte d’instantané photographique du présent.

 

Un soir, il ouvre son tiroir plein des ampoules de radio dont il se sert pour les exploser et faire ses Allures d’objets. Face au tiroir ouvert, c’est comme une révélation : la répétition de l’objet en série qui fait masse dans le nombre va imposer un tournant définitif.

 

Ce n’est plus seulement la trace, mais l’OBJET lui-même qui devient le vecteur à transporter son geste à jamais pour devenir la valeur sûre.


Envelope avec un rehaut d’Arman

Non datée, 1962.

VERS DE NOUVELLES AVENTURES.

Des « aventures », ARMAN et ARMAND n’en ont jamais manqué et ne s’en sont jamais privés non plus.
 
Lorsqu’Armand rencontre Éliane, il est en plein dans une grande histoire sentimentale qui prendra du temps à se défaire jusqu’à ce que chaque histoire trouve sa place. Celle d’Éliane, on la connaît : elle devient sa femme. L’autre histoire amoureuse d'Arman, elle-même intriquée dans une autre encore, entre les deux mon cœur (corps) balance et c’est comme le promet le sens commun : ÉLIANE fera la troisième et la première à devenir l’épouse.
 
Très vite Éliane est de nouveau enceinte pour la troisième fois. Les nouveaux époux ne sont pas très contents de confirmer la non fiabilité de la fameuse méthode des températures « Ogino » dont on sait combien elle a prouvé son efficacité pour l’explosion démographique !
 
Cette grossesse est leur nouvelle aventure commune. Et celle qui voit se constituer le retour des « aventures »..., cette fois extraconjugales.
 
Ce couple là, précurseur en bien des points comme on sait, le fut aussi dans l’intimité. Ils se veulent un couple « moderne » : on est libre dans les explorations sentimentales et « on se dit tout. » Ainsi, le partage devrait faire force contre l’adversité : chacun engagé à garder l’autre comme unique coffre-fort aux secrets...
 
La suite a démenti ce bel engouement...  
 
L’organisation des « jeunes filles au pair » qui suppléent à l’aide familiale devenue celle des « jeunes filles au père », aux jupons ou pantalons d’amies d’amis, en vélo, à pied, à cheval ou en voiture.
 
Arman continuera de dire tout au long de sa vie son rêve à rivaliser avec la liste des plus grands séducteurs. Il aimait à être le plus fort et gagner les combats : surtout ceux où l’adversaire se montrait coriace.
 
Oui, un grand ACCUMULATEUR !

Détail d'une lettre

1960.

Les « Nouvelles aventures » datent la notoriété qui s’en vient pour ARMAN.
 
Il a toujours dit combien la chance, dans son parcours, fut constituée des « bonnes rencontres au bon moment ».
 
IRIS CLERT reste incontournable dans son histoire, tout comme dans celles de beaucoup d’artistes du moment, de ceux à l’époque en chemin et qui verront aussi la reconnaissance de la consécration.
 
Même si le mot « précurseur » est un qualificatif qui ne se décline qu’au masculin, cette femme reste celle qui aura pris tous les risques dans l’engagement de ses choix.
 
Sans d’ailleurs ultérieurement en récupérer les fruits (financiers) lorsque tous seront sur des rails.
 
Elle continuera néanmoins de se définir jusqu’au bout engagée à « liberté illimitée ».

FULL-UP

1960

TIRAGE: 500 exemplaires de 1 à 500

TECHNIQUE: Poubelle

DIMENSIONS EN MM.: 105 x 64 x 29

DESCRIPTION: Boite à sardine imprimée dans une boîte en carton avec une notice explicative, servant d'invitation au vernissage de l'exposition "LE PLEIN", à la galerie Iris Clert, Paris (France)

EDITEUR: Galerie Iris Clert, Paris (France)

FABRIQUÉ PAR: Inconnu, (France)

L'ENVOL.

L’année 1960 sera celle de l’envol de la notoriété d’ARMAN.
L’évènement spectaculaire, c’est LE PLEIN.
 
Avec l’aide de MARTIAL RAYSSE, Arman remplit la galerie d’IRIS CLERT au 3 rue des Beaux Arts à Paris le 25 Octobre 1960.
Ils empilent toute sorte d’objets : vieux disques, lampes défectueuses en s’apercevant qu’il allait falloir un volume difficile à réaliser.
Ils contactent donc l’abbé PIERRE pour lui demander de récupérer de vieux meubles.
 
« Arman, aidé d’un jeune ami niçois, Martial Raysse, vint préparer son exposition. Après avoir vidé ma galerie dans ma réserve, ils commencèrent à empiler toutes sortes d’objets, des lampes Mazda défectueuses, de vieux disques, etc. Mais ce n’était qu’une goutte d’eau dans un lac. On s’aperçut qu’il faudrait un volume considérable pour faire ce « Plein ». Je demandais secours à l’abbé Pierre (les prêtres m’ont toujours réussi).
— Mon père, accepteriez-vous de me vendre de vieux meubles inutilisables pour remplir un espace ?
 
— Oui, si vous venez les chercher vous-mêmes.
 
Pour 100 Nouveaux Francs, cet homme remarquable nous remplit un camion.
Pendant deux jours, Arman et Martial Raysse vont empiler, accumuler, superposer des tas de meubles bancals... des chaises, des tables, des bidets, de vieilles bicyclettes. Le résultat est hallucinant. Les passants peuvent voir dans une vitrine de 3,50 m de haut un amoncellement d’ordures spectaculaire.
À l’intérieur, au fond de la boutique, on aménagera une place pour mon bureau et une chaise.
Sur un mur, j’accrocherai quelques boites d’Arman, ses Accumulations, dont voici les titres et le contenu : DIRECT POUR LA LUNE (suppositoires), RETOUR DES CROISADES (clefs rouillées), LA VIE A PLEINE DENTS (vieux dentiers). Un cube de verre rempli de vieilles casseroles, que je baptiserai HOMMAGE À LA CUISINE FRANÇAISE, est posée per terre. »
 
L’invitation au vernissage est une boite de sardine remplie de déchets et contient un texte de PIERRE RESTANY : « Un évènement capital chez Iris Clert en 1960 donne au Nouveau Réalisme sa dimension architectonique. Dans un tel cadre, le fait est d’importance. Jusqu’à présent aucun geste d’appropriation à l’antipode du Vide n’avait cerné d’aussi près l’authentique organicité du réel contingent. »

HOMMAGE À LA CUISINE FRANCAISE

1960
TIRAGE: Unique
TECHNIQUE: Accumulation
DIMENSIONS EN MM.: 470 x 370 x 370
DESCRIPTION: Ustensiles de cuisine dans une ancienne cuve d'accumulateur.

LE DÉPLOIEMENT.

Plus de photos ElianArman ensemble, ils ne sont pas ensemble au moment du « PLEIN » à la galerie IRIS CLERT à Paris.
 
ARMAN assure son succès de notoriété après l’évènement ; il va et vient au gré des nécessités à gravir les échelons.
Éliane a suspendu ses propres activités artistiques : plus de conférences, plus de concerts... Elle s’occupe de la garde des enfants et continue d’assurer la suite d’Arman au magasin « LE FOYER » (il faut quand même garantir le paiement des factures qui arrivent en fin de mois !)...
 
Arman est heureux de se réaliser et déploie cette énergie qu’on lui connaît à faire des projets pour élargir encore vers le reste du monde cette notoriété qui commence. Éliane range dans un coin, sans savoir qu’elle le préserve ainsi, son propre dynamisme créateur de musicienne.
 
Il a toujours besoin d’elle, beaucoup, pour échanger à cent à l’heure tous les effets suscités par sa nouvelle situation dans l’espace de création avec les POUBELLES. C’est dans ce contact des discussions qui définissent leur lien que la dialectique se déploie elle aussi pour construire, affirmer Arman.
 
Ils entrent dans un désaccord sur le chapitre qui va marquer un début de la fin.
À la mesure de ces deux génies !
 
Pour signifier leur divorce intellectuel,
Éliane lui annonce :
 
« – Tu comprends, je suis pour la métaphore ascendante et toi pour celle descendante ».
 
C’est vrai, cela dessine deux mouvements contraires.
 

Extrait d’une lettre d’Arman à Éliane Radigue

Non datée. 1960.

« MON CERTAIN MATIN, PAR PITIÉ, ÉCRIS MIEUX ».

La trentaine est passée, on dit que c’est un cap. Pour Arman et Éliane et leurs dix ans de vie ensemble, c’est le début d’une traversée rude.
Qui va, elle aussi, durer dix ans.
 
Arman avance vers la reconnaissance sociale tandis qu’Éliane a dû renoncer à la sienne : il faut attendre que les enfants grandissent.
Avec le succès, viennent aussi les moyens financiers.
 
Changement de tableau : la famille va s’installer Avenue de la Lanterne, sur une petite hauteur de Nice, vue sur la baie, villa avec jardin. Lord, le dogue allemand gris-bleu vient agrandir la famille. Mais surtout, le garage transformé en atelier va faire la différence : de l’espace, de la distance avec l’intimité de vie. Tous les gestes d’Arman finissent de se mettre en place : accumuler, couper, casser, brûler voient s’adjoindre l’utilisation de la résine polyester pour inclure dans la transparence. 
 
Parler d’Arman pour le montrer, c’est ne pas omettre de souligner que le judo, art martial exigeant, lui colle à la peau avec tout ce qui va d’énergie et de maîtrise du geste. Il est ceinture noire. 
 
Casser est devenu exploser ; accumuler s’est déployé dans du de plus en plus grand au fur et à mesure qu’il grandit et s’approprie des espaces de travail de plus en plus grands aussi.

Tournage d'une combustion de piano

Combustion de piano sur le toit du garage Avenue de la Lanterne, c. 1966.

LA PRÉSENTATION DE L'OBJET, C’EST UNE CHOSE QUI COMPTE POUR ARMAN.

Mettre en scène.
 
Celle sentimentale, de scène, est marquée par un grand évènement.
 
C’est bien connu : les mots n’ont pas forcément le même sens pour tout le monde. Arman, dans l’utilisation courante du sens des mots, il a toujours été infidèle. En se disant…, fidèle « — Fidèle à mon infidélité » a t-il plusieurs fois proclamé. Depuis le début, la femme, les femmes, constituent un sujet qui préfigure son qualificatif : ACCUMULATEUR.
 
Mais ce qui arrive là avec le succès, les voyages d’allers et retours à New York — Nice Côte d’Azur va faire une différence. Il rencontre à New York une femme qui va beaucoup compter. Elle devient une liaison ; pour dix ans.
La décennie revient marquer la temporalité si chère à Arman.
 
Pour Éliane aussi, cela va faire une différence.
 
Dans la langue d’Arman, FIDÈLE, signifie tout un tas d’aventures en multiple (on le reconnait bien). Dans le cas présent, il admet être : infidèle.
Oui, il aime encore et d’ailleurs pour toujours sa « panthère d’Éliane ». Mais l’autre amour de l’autre côté de la vague vient faire l’interlocutrice à ce qui advient de toutes ses questions de créateur. 
 
JOURNALISTE : 
Elle pose des questions et aussi, elle écoute attentivement les réponses… Éliane, elle s’est installée aux abonnés absents des questionnements d'Arman : ils sont en conflit de mouvements contraires et leurs lignes de vie vont s’installer parallèles. De celles du côte à côte qui ne feront pas de retrouvailles.
 
Le nouveau confort de la maison ne fera rien à l’affaire (d’autant plus que les territoires vont, eux, se mélanger : Arman ose amener son amour américain en période Éliane midi de la France).
Bref : c’est comme pour chacun dans la douleur de ce qui sépare. Dur — dure la fin : dix ans, c’est long…

Carte postale de Arman à ses enfants

Colombie 1972.

ARRIVÉE VERS LA QUARANTAINE : LA CRISE.

Arrivée vers la quarantaine : vrai alors, l’image qui y colle à la peau d’anniversaire. 
 
La crise ?
 
L’année d’avant, tout est décidé : ils vont se séparer. Éliane monte s’installer à Paris avec les trois adolescents d’enfants. Précaution : ils ont eu quelques moments shakespeariens, mais prennent le soin de protéger le mouvement sous forme d’une mise en scène, cette fois juridique. Un adultère est constaté dans un studio niçois, six heures du matin / huissier de justice, pour enregistrer le délit d’Arman. Éliane ne veut pas être taxée d’abandon du domicile conjugal…
 
Tout se précipite ! Lui, doit se replier pour les séjours méditerranéens sur le campus parental Pachatte et Fatheur au Méou à Vence. Pour construire vite l’atelier de travail et aussi la maison « familiale ». Celle du regroupement qui ne va pas se faire. Arman, comme d’habitude n’a peur de rien, il va même la jouer bigame : dans la foulée, il épouse au Mexique sa liaison qui a délié ElianArman.
 
40 ans. Même ceux qui n’aiment pas les anniversaires décident généralement que la dizaine se fête ! C’est pourtant pour cause de la célébration des dix-sept ans de son aînée qui veut aller danser, que le dancing de la Siesta, bord de mer Cagnes-sur-Mer, verra changer le cours de l’histoire.
 
 
Il est un excellent danseur et c’est bien connu comment les filles aiment ça : un bon danseur !
 
Voilà : il y avait les nénuphars posés dans les lumières psychédéliques.
 
Elle dansait.
 
Une petite vingtaine d’âge en moins.
 
C’est elle qui fera le changement du cours de l’histoire.
Elle deviendra et restera Madame Arman.
Les dés sont jetés à la croisée des chemins : la trinité du début se répète.
Micheline – Marianne — Éliane.
Éliane – Joan — Corice.
 
La montre sursaute un arrêt sur le temps :
Divorce officiel — Séparation définitive — Vers le remariage.
 
Il ne faut pas se tromper, c’est comme l’autre fois pas si simple. Éliane voulait le divorce, Arman ne voulait pas. Il lui demande d’accepter un « mariage bourgeois » qu’elle refuse. Elle ne veut plus qu’il continue « — de se glisser dans mon lit » et à en aimer d’autres.
 
Fin de l’histoire : 1971, Arman épouse Corice Canton à Nice et voyage ses noces aux Galápagos avec Jacques Matarasso (libraire et supporter du travail d’Arman depuis le début) et sa femme Madeleine.
 
Le Bidonville devient la résidence d’été. Lord, le chien, resté dans la propriété au moment de la séparation est mort de chagrin. Les affaires de la maison de l’avenue de la Lanterne sont restées stockées à la cave.
 

L'Éternel féminin

1995

TIRAGE: Unique

TECHNIQUE: Transculpture

DIMENSIONS EN MM.: 1750 x 900 x 600

DESCRIPTION: Coupe de statue et coupe de machine à coudre entremêlées entre-elles, bronze soudé et acier, patiné vert.

PAS LA MACHINE À COUDRE.

La Singer à pédale d’Éliane, qui a généré quelques subsides des travaux de couture et aussi rempli les gardes robes des enfants, des poupées. Ainsi que la sienne de garde-robe, à Éliane : elle coupait, cousait les parures à se vêtir coton — blanc que lui, recouvrait « All-Over » de cachets…
 
CETTE machine à coudre, elle est LÀ.
 
Immortalisée.
 
Dans le béton : il disait aimer le béton parce qu’il fossilise…
Suspendue dans le temps, la machine à coudre.
 
Diffracte-t-elle l’autre ? Celle de l’atelier de couture de Georgette, la mère de Micheline ? Souffles et sons de l’univers au féminin des senteurs de tissus ? Les complicités, les chuchotements de secrets, les rires, le RIRE ? CE rire ? Celui de Pachatte ? Écho de l’origine du lien, longtemps dans le si proche de la chambre d’hôtel de Grasse ? Celui des histoires racontées qui se disent des choses qu’il dessine, Armandito ?
 
MOTHER’S DAY…
 
Femme, femmes, de cette machine à coudre, que l’on retrouve dupliquée pour le multiple, encore plus tard. Sacralisée, exhumée de la gangue du béton pour dire, en le montrant, l’intérieur des choses de la coupe. Et s’accomplir pour boucler le récit, dans son titre à écrire un destin, qu’Arman signe : L’ÉTERNEL FÉMININ.
 

Éliane et Arman jouant aux échecs

Éliane et Arman jouent aux échecs devant le « NAUFRAGE DE LA FRÉGATE -1966- ».

QUAND ON AIME…

QUAND ON AIME, C’EST TOUJOURS LA PREMIÈRE FOIS,
 COMME À CHAQUE FOIS… 

Éliane et Arman ont scellé leur histoire dans l’affirmation du :

« — Nous nous sommes élevés ensemble ».
 
Tandis qu’ils se séparent de l’infidélité d’Arman, lui, reste fidèle…, à ses infidélités.

Il faut comprendre : d’autres histoires en multiple entremêlent sa liaison.
Intellectuellement il sait défendre son parcours de créateur par les échanges où il maîtrise de mieux en mieux son langage pour en parler.


 
De ses autres histoires amoureuses en gravitation, il dira qu’elles ont fini de « l’éduquer ». 
« — À la fin, je savais m’habiller, je savais les usages du monde, les codes pour manger à table dans la société, les us et coutumes de politesse ». Il aimait à affirmer que le vernis social a son importance parce qu’il peut servir à remplacer le talent. Il faut dire que sa nouvelle installation sur les deux continents : New York — Midi de la France et les voyages à travers le monde portés par la reconnaissance de son travail, fait pas mal d’aventures de port en port… Jusqu’à la fermeture du rideau, décennie accomplie, pour recommencer, point à la ligne.

Arman, Yasmine et Philippe

c. 1989.

«  – J’AI ÉTÉ FIDÈLE… »

Des premières années de son remariage, il revendiquera :

« — J’ai été fidèle ».
Pendant…, 10 ans…
Comme à chaque fois.

Reformulant ainsi le référent au dictionnaire qui est le sien concernant le mot « fidèle » = pas de liaison amoureuse. 

 
Pendant ce temps, élevé, donc, puis éduqué, il décide dans une certaine logique qui va avec pour continuer d’apprendre : de transmettre. Il est vrai qu’on apprend beaucoup d’apprendre à l’autre.
 
En créant son « École de Maïeutique », il postule que chacun doit pouvoir s’accoucher, donner forme à sa propre capacité de création. Égal à lui-même : jusqu’au-boutiste, Arman, il accompagne quelques parcours sans faillir dans une navigation personnelle. Y compris en s’occupant d’une fonction de Pygmalion au foyer. Histoire de rejoindre la légende de ce sculpteur de l’Antiquité qui crée une femme d’une telle beauté qu’il en tombe amoureux. L’exigence du meilleur, Arman. Pour faire autorité à conduire l’amélioration des performances : du nivellement par le haut.
 
Au-dehors, c’est sous forme d’aides financières à accomplir des études pour l’une et pour l’autre qu’il fait sceau de cette conviction pédagogique.

Lui-même se remet d’ailleurs à l’apprentissage. Après ses premières amours du jeu d’Échecs de sa jeunesse qu’il avait suffisamment développé pour y gagner quelques galons, c’est au jeu de Go qu’il s’initie pour aller comme il se doit dans son cas : vers la maîtrise la plus complète. En parallèle, il s’engage à fond, dans son appétit de collectionneur, tous azimuts et en particulier dans l’Art Africain dont il fera une de ses spécialités de compétence.
 


Jusqu’au matin certain, où il se réveille dans l’énergie de son crédo :
 « — Ce qui compte dans l’art, c’est la décision ».

Il enfile son bleu de travail direction l’atelier, c’est irrévocable. Dans la discipline acquise de sa pratique des arts martiaux, Il remet Go et Art Africain à leur place : après son propre travail de créateur.
 
Entre temps deux enfants sont venus agrandir sa deuxième famille.

SANS TITRE

1959

TIRAGE: Unique

TECHNIQUE: Allure d'objet

DIMENSIONS EN MM.: 750 x 1090

DESCRIPTION: Traces d'objets sur papier

C’EST LE MOMENT DE LA CINQUANTAINE.

C’est le moment de la cinquantaine et cela se fête : retour à la tâche pour la décennie de plus. Avec ce qui va aller avec la décennie de plus : c’est comme à chaque fois…
Il s’engage dans une nouvelle liaison amoureuse.
Bref, fidèle à son infidélité.
Qui durera sans surprise dix ans…


 
Durant ces dix années pédagogiques, il a exploité les techniques qu’il a faites siennes dans un appétit de connaisseur : il sélectionne, il trie et prend des options définitives quant au choix des objets qu’il utilise pour en faire sa marque de fabrique. Ce seront les objets apprivoisés et façonnés par la main de l’homme. De son surf sur la vague pédagogique, il garde clairement le tri sélectif de ce qu’il entend accumuler, couper, casser, brûler ou inclure dans la résine ou le béton.


Les années 1980 vont le voir développer, explorer l’une de ses techniques : LA COUPE.
 
C’est toujours ainsi qu’il procède : explorer, revisiter, décliner jusqu’à la lie chacun de ses gestes initiaux des débuts.


La coupe de l’objet, Arman lui confère deux vertus : l’une, c’est la possibilité d’aller dans le regard jusqu’à l’intérieur des choses. L’autre, c’est le fil du diamant que représente la tranche de la coupe. Il la cherche et la veut brillante, présente à scintiller des feux et frissonner son trait. Écho de son travail d’utilisation de l’objet à l’origine ? L’Empreinte pour faire tranche à l’Allure d’Objet qui elle, déroulait le mouvement de l’objet ? 
Pour faire acte de révélation du mouvement simultanément à l’écriture de la traversée du mouvement, détourner l’arrêt sur image au profit de l’hologramme qui atteste que rien n’est plus figé, respire : comme le premier souffle, sorte d’ode à la vie ?

 
 
Non, il ne choisit pas les objets par hasard : il ne veut que ceux le plus reconnaissable possible et par le plus grand nombre possible.
 
« — Un violon reste toujours un violon et tout le monde reconnait un violon ».

Le traitement qu’il fait subir à l’objet va fixer une trame narrative, dessiner son destin.
Puisqu’Arman raconte des histoires avec l’objet.
 
Depuis toujours.


 Cette décennie 80, lorsqu’il décide de traiter la question de la statuaire, de faire un sort aux objets antiques chargés d’une histoire à remonter le temps pour aller voir dans l’intérieur des choses, il ne parle pas du tout dans le vide.
 
Parce que l’interlocutrice attentive et compétente, cette fois, est :
HISTORIENNE DE L'ART.
 
Spécialiste du Quattrocento, s’il vous plait.

 Alors, il peut se déployer, Arman, cet assoiffé de culture : de la mythologie qu’il transforme en humour de ses titres à tiroirs pour colorer le récit, donner du sens. Il est compris, comblé, tout à fait. Et prêt à refaire une première fois, comme à chaque fois…

C’est en 1992 qu’il décide d’écrire un journal. Le cap de la soixantaine et des répétitions, qu’il perçoit dans la lassitude triste de ne pas réussir à trouver son Graal, le courrier n’est plus à la mode, il a envie de fixer sur le papier pour cause du temps qui passe.
Pour comprendre.
SANS TITRE

1963 - circa

TIRAGE: Unique

TECHNIQUE: Empreinte

DIMENSIONS EN MM.: 650 x 500

DESCRIPTION: Empreintes d'une silhouette de statuette sur papier


Portrait d'Arman

Le Bidonville, Vence

PENSER ET COMPRENDRE.

PENSER ET COMPRENDRE : C’EST LA FONCTION QU’IL DONNE À L’ART.
 
Ses jamais et toujours amoureux dans des fluctuations de l’âme si fortement contradictoires l’interpellent à faire un peu de lumière quant à cette propension chez lui du nombre d’autres, d’une autre en même temps que d’autres à fleur et dans sa peau. Élevé, éduqué, dans la maîtrise de ce qu’il est et sait pouvoir donner, il revient à la page blanche, pour faire miroir, révélation.


 
Désormais, dans la vie courante, il est très organisé : le téléphone a remplacé les missives. Il s’en sert activement au quotidien et cela lui prend beaucoup de temps. Il veut agender sans défaillance ce qu’il appelle le « damage control » de son multiple amoureux. Il faut dire qu’entre les fidèles et l’infidélité, tout cela finit par constituer pas mal d’alcôves.

Ses agendas ne doivent rien trahir, annotent par numéros bilingues, number one, number two et en suivant. La simultanéité des répétitions ne perd pas le modèle d’origine de la trinité.
 

Arman a fait partout dans sa vie pour sienne la devise de Lavoisier du « rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme ».
 

Égal à lui-même, il pratique, il explore, décline réajuste et reconsidère. Car ce qui est certain, c’est que toutes comptent et ont comptées. D’ailleurs, question comptes, c’est un grand sujet d’inquiétude : il ne recule jamais devant les responsabilités et cela finit par faire beaucoup de comptes à alimenter. Quoique la version officielle privilégie sa propension à collectionner, ce que ne disent pas les archives, c’est que ce multiple au féminin n’est pas innocent aux décisions professionnelles : il faut bien assumer.
 

Arman et Yves

c. 1990.

TOURNANT DE DÉCENNIE.

Ce, d’autant plus que s’ajoute la responsabilité d’une liaison cette fois à vie pour compléter le tableau. D’une escapade amoureuse naît un enfant à terme qui constitue une troisième famille, cachée. On dit « hors-mariage ».
 
1989, à peine la soixantaine fêtée, une fin d’histoire dans un mauvais tournant de route. Son premier fils Yves décède et signe un arrêt du temps.
 
Tournant de décennie :
Une femme avec un enfant caché fait écho au début.
Les familles grandissent souvent autour d’un secret…

WALL PIECE

1983

TIRAGE: Œuvre unique et originale

TECHNIQUE: Wall Relief

DIMENSIONS EN MM.: 1780 x 1420 x 20

DESCRIPTION: Cuillères à soupe soudées entre elles.

« – MILLE PETITES CUILLÈRES SONT PLUS PETITE CUILLÈRE QU'UNE PETITE CUILLÈRE ».

ARMAN QU’EST-CE QUI TE FONDE ?

Pour sûr et certain, maintenant on le sait : La RÉPÉTITION, VU-PRIS l’objet et on recommence.

 

Parce que « – Mille petites cuillères sont plus petite cuillère qu’une petite cuillère. »

 

Oui, il fait du multiple dans les multiples ; mais il s’agirait de ne pas de s’y tromper et, revenir aux bases, pour ne pas risquer de perdre Arman en route : son chemin de légende, à Arman, c’est ACCUMULER.

 

La chance de ce journal, qu’il décide pour mettre des mots, miroir d’aujourd’hui où il n’est plus là pour nous expliquer, c’est qu’il le commence dans l’idée d’écrire et dessiner pour lui. Plus tard, la célébrité va l’inciter à opter, comme pour le lait, de choisir de l’écrémer pour le rendre plus digeste. Ici, il ne se livre pas encore pour la postérité où toutes les choses ne sont pas forcément bonnes à être entendues. Ici, où l’on s’en va tranquillement vers la nouvelle dizaine, la dernière, à l’entrée de son crépuscule de vie.


LA GUITARE DE MARC

1989

TIRAGE: Unique

TECHNIQUE: Shooting Colors

DIMENSIONS EN MM.: 1150 x 900

DESCRIPTION: Guitare brisée, traces de couleurs (bleu, jaune,orange, marron) sur toile.

IL A TOUJOURS AIMÉ LES MOTS.

Pour ceux qui sont un peu connaisseurs, voire gourmets d’Arman, son rapport quelquefois décapant aux mots n’est pas un scoop. Il a TOUJOURS aimé les mots. Se souvenir :
IL DESSINAIT ET RACONTAIT DES HISTOIRES.


Il a aussi toujours cultivé sa passion des mots, il adorait les livres, la poésie, disant que, quelque soit l’endroit où il se trouve, même dans une chambre d’hôtel anonyme, avec des livres, il était chez lui.
 
Cette fois, l’infidélité de cette décennie s’écrit dans cette aspection.
 
ELLE EST FEMME DE LETTRES.
 
Et il partage à profusion : « LOCURA ESENCIAL. »

 Folie essentielle. Tiens, une pointe de l’origine hispanisante de la famille Fernandez pour la verve qui s’en revient ? D’ailleurs, il y revient, au début : retour à la peinture. Dans le feu d’artifice des couleurs pour cause de cette verve ? En tout cas, le geste n’y va pas de main morte et va faire de l’affect sous le capot, rythme pas tiède ! Staccato ou exergue flamenco, maîtrise du pied qui shoote la couleur pour faire l’archée de peinture à recouvrir l’objet. OUI : locura esencial. Beethoven dans sa neuvième symphonie à fond la caisse dans l’atelier pour que la joie demeure : du chaud. Essentiel retour pour lui, Arman.

À la source, à l’origine : la peinture. Cette décennie-là.
 

Vue depuis l'atelier de sculpture

Le Bidonville, Vence

ET NOUS VOILÀ CE SOIR…

À l’orée de la fin de sa vie sur terre. Chacun devenu légataires de ses gestes, de tous ces objets métamorphosés. De ceux qu’il nous a donné à voir pour nous donner à comprendre. De ceux qui ont façonné sa langue : sa manière à lui de nous parler en le disant, autrement.

L’œuvre d’art interroge la question de la communication de manière essentielle : le partage du choc esthétique est comme la reconnaissance délicieuse d’aimer ensemble le goût, le son, la couleur pour faire quelques moments inoubliables. Parce que ce qui est sous-jacent à cet état de fait, c’est l’état de certitude confirmée par l’expérience qui délimite un indice de vérité. La sensation corporelle, le vécu par l’expérience qui atteste que c’est pour vrai, on ne rêve pas puisque c’est devenu réel de se le confirmer à deux. Celui qui crée et celui qui regarde le tableau.

On aime (ou quelquefois on déteste !), c’est un évènement fort sans que cela s’explique forcement et sans devoir le justifier (sauf les « spécialistes de l’art »).

C’est comme en amour : le coup de foudre doit-il se définir réductible à une montée hormonale ? Non, ce qui fonde l’ampleur de l’évènement, c’est que se matérialise une rencontre dialectique à l’autre : on se comprend et on aime ce que l’on comprend ensemble.

Lorsque le spectateur regarde le tableau, il partage intimement et sans les mots le texte et le chemin de pensée de l’artiste. Pour vivre une expérience au profond de l’indicible puisqu’ici les choses sont exprimées en les montrant. Sorte de porte d’accès vers un absolu dans la relation, un accomplissement qui tient de trouver l’autre et dialoguer et s’y reconnaitre dans le silence créé de celui de l’œuvre.

Le succès, la célébrité reste une question en deçà de cette expérience. L’art a une fonction qui de tout temps lui a été accordée dans un statut à part. Indispensable et privilégié parce que l’art lorsqu’il devient visionnaire, propose des issues qui attestent de l’existence de solutions dont celle de pouvoir COMPRENDRE ET SE COMPRENDRE.

 


Détail sol de l’atelier de peinture

Le Bidonville, Vence.

IL FAUT BIEN ARRIVER À LA FIN.

Dans le partage de l’œuvre, c’est l’essence du lien que l’on retrouve dans le, au plus prés, de l’artiste. Au plus prés, Arman savait bien y faire… Les femmes de sa vie, dans le nombre et la différence ont, TOUTES, une chose en commun : leur conviction d’avoir été UNIQUE. Joli paradoxe au regard du multiple, non ? Arman avait le savoir-faire ! Et ce n’est pas si hasardeux qu’il pourrait le sembler de prime abord. Il faut bien arriver à la fin… Dernière décennie : toujours le même schéma qui se répète dans sa vie amoureuse pour passer la septantaine. Arman sait qu’il répète qu’il les aime chacune et toutes : y compris ses « fidélités » qui finissent par prendre statut d’infidélités malgré les risques sismiques à secouer l’architecture de sa vie au quotidien, l’obligeant à une organisation en proie aux urgences permanentes à trouver des arrangements. Il aimait ça : « — trouver des issues », confiant dans son tour de main, toujours dans l’appétit de se remettre à l’ouvrage du sériel et recommencer encore. CE SOIR…


PETITS DÉCHETS BOURGEOIS

1959

TIRAGE: Unique

TECHNIQUE: Poubelle

DIMENSIONS EN MM.: 600 x 400 x 100

DESCRIPTION: Déchets ménagers dans une boîte en verre

CE SOIR…

2004 : les révoltes sont passées des mauvaises nouvelles concernant sa santé. Il est très malade et les choses ne vont pas dans le bon sens.
 
Ce mois de septembre voit un rassemblement familial de sa première famille autour d’une célébration. Désormais Arman a accepté qu’il ne peut pas être le patriarche qu’il voudrait quant au regroupement familial de toute sa meute. Aujourd’hui, c’est le « premier lit », celui de la première femme, des lettres à sa muse. Ils ne se sont pas vus depuis longtemps, Éliane et Arman, ils se retirent tous les deux dans le salon du Bidonville, fatigués avec une petite faim.
 
On les retrouve un peu plus tard, endormis, l’un contre l’autre autour du festin : camembert et gorgée de vin soigneusement choisi.
 
Incroyable — CE — camembert ! Celui dont la marque sera tue pour ne pas faire message publicitaire, quoique ! C’est celui de la première poubelle ! Celui de leur désaccord intellectuel qui a formalisé leurs définitifs mouvements contraires ! Celui des déchets récupérés par Arman qui avait foncé chez ses beaux parents à Paris ! Y compris la boite du camembert préféré du père d’Éliane pour réaliser « LES PETITS DÉCHETS BOURGEOIS » !
 
 
Dernière ligne droite : ces poubelles de leur désaccord et les voici à… S’ACCORDER. Dormir ensemble pour cause de circonstance favorable à mieux se rythmer. Autour du petit en-cas, ont-ils regardé et vu la marque ?
 
Parce que, si c’était TOUTE la question aux féminins d’Arman : celle de S’ACCORDER.
 

TRACTION AVANT, TRACTION APRÈS

1991

TIRAGE: Unique

TECHNIQUE: Atlantis

DIMENSIONS EN MM.: 1575 x 5530 x 3680

DESCRIPTION: Voiture en bronze

FABRIQUÉ PAR: Fonderie d'Art R. Bocquel S.A., Bréauté (France)

JANVIER 2005.

Son dernier séjour au Bidonville.
En plus, il neige, c’est rude. Il fait froid, il a froid, il est, plus que fatigué. Mais persiste, c’est un têtu…, à regarder l’horloge de la montre du temps de l’hiver prochain sous forme d’une demande : rendre « — cette maison plus confortable en hiver ».
Il n’y aura pas d’autre hiver.
Et nous voilà le soir autour de cette table qu’il a voulu sous une véranda de la terrasse, prés de TRACTION AVANT – TRACTION APRÈS, sous la neige. Autour de la soupe, cette soupe exactement comme il aime : couper les légumes en carrés petits, faire sauter avec une cuillère d’huile d’olive avant de recouvrir d’eau pour la cuisson. Recette de Pachatte.
 
 
C’est vrai que le partage du repas, lorsque les tablées ne sont plus celles de la représentation liée à la célébrité : appareils photo en alerte, rires obligatoires à toutes les blagues — tant pis si elles sont mauvaises, ici, plus rien à voir…
 
Pourtant, si, il y a, tout de suite, quelque chose à voir. Il a tellement froid aux mains qu’il a fallu acheter des gants en cuir, doublés, la laine ne suffisait pas… N’essayez pas, ce n’est pas facile pour manger… Et il s’agit qu’il mange…
Alors, passer la cuillère, avancer le verre, pousser la tranche de pain pour son fromage préféré, du chèvre, cette fois pour allier à la soupe car il reste aussi précis dans la composition qu’il l’est dans l’œuvre.
 
C’est seulement une connaissance sans faille dans l’intimité du lien que cette chose orchestrée à merveille pour que la grâce advienne sous forme ici : de pouvoir le nourrir.
 
Un duo, en pas de deux qui ne doit pas faire du faux pas. Ne pas trébucher, réussir l’ŒUVRE, en quelque sorte. Sans mots, dans ces allées et venues du savoir du moment de l’autre… Quant au savoir-faire, toutes les figures doivent se dérouler là sans heurts, la serviette et le geste à temps pour la bouche.
 

UNE HISTOIRE D’HOMME.

Mais ce n’est pas une femme qui participe au rituel.
Une histoire d’homme cette fois ce tango.
 
D’ailleurs, c’est étrange, il parle, Arman, au moment : du masculin.
Seulement du masculin.
De son fils, Yves.
De son père, Fatheur.
Ses absents.
L’horloge a stoppé le temps, elle ne marque plus l’heure.
Sauf celle de…
L’ATTENTE.
Comment figurer cette image…
L'ABSENCE.
 
Il dessinait des montres, Armandito…
« — JE DESSINAIS DES MONTRES. » 
 
Celles tellement regardées au début de l'histoire ?
Par lui et par l’autre.
Ils l’ont tellement attendu :
Antonio, son père, jusqu’à tous ces jours où il ne venait plus…
Ce temps qui fixe l’éventualité d’une possible déconstruction.
L’hypothèse d’une catastrophe.
Un temps décomposé.
À recomposer.
 
 
Tout de suite, il explique comment tout a mal tourné du contre nature de la voiture qui a fait ces tonneaux ce 14 février 1989 sur la route de Saragosse (tiens, l’Espagne encore, un destin…)
« — C’est là que j’ai commencé mon cancer de la veuve ».
Ah, bon ? C’est lui qui est devenu l’autre : la femme qui porte en elle…
 
 
 
Son père.
Décédé plus tard, dans l’ordre des choses, il était âgé, sauf comment son cœur a explosé, à Arman… Avec la mémoire superposée des deux moments de n’avoir pas pu aller les reconnaitre, souffle coupé, ni l’un, ni l’autre.
Parce que le regard, la vision, c’est tellement pour du vrai, que cette fin-là, il pouvait l’entendre, par force, on ne peut pas fermer ses oreilles. Mais pas de solution, sauf fermer les yeux aux images.
Pas « — d’issues », là. Plus de mouvements, plus de respiration. Le corps contacté en perdition : aux abonnés de…
L’absence.
Juste du vide.
 
Comment recomposer sans trahir le fracas ?
Comment redonner, la vue, le son, l’image, le récit, le plein ?
 

Nuit du 17 au 18 feb 94
depuis qq jours je n’ai rien écrit et pourtant avec la St Valentin il y aurait des choses à dire. c’est toujours vivant. et douloureux cet anniversaire qui pour moi maintenant est plus le souvenir de la mort de mon fils que la fête des amoureux. en un certain sens la fête était finie et il restait à éteindre les chandelles – qui s’étaient transformées en cierges.


LA CLÉ DE TOUTE L’HISTOIRE.

Si c’était la clé de toute l’histoire ?
 
De la question de sa vie d’homme à femmes et d’œuvres à accumuler ?
Historiens de l’art, à vos plumes : Arman ne voulait pas imiter Don Juan ni être Casanova.
 
Seulement donner corps à l’interlocutrice. Pour du vrai.
 
Quoi de plus naturel que de parler ensemble ? Ce parlé de l’origine ? Du secret du lien. De celle avec qui il s’en est bien dit long de leurs cinq ans de vie commune mère-fils dans cette chambre de l’hôtel de Grasse.
Ce soir il persiste à vouloir donner du sens, trouver l’endroit, la place de son père, de son fils ; le père, le fils.
Lui.
Une place d’homme qui ne soit pas celle de l’enfant dépendant pour se savoir du visage de l’autre qui l’écoute et qu’il écoute. Ce soir, il construit le récit pour recomposer l’image.
 
 
Je regarde et j’écoute…
Comme nous l'avons fait si souvent…
Penser et chercher à comprendre, c’est une éducation.
 
Ces femmes, ses femmes toutes défilent sons et images pour se raccorder dans leur place d’unique en multiple et je sais qu’elles ne se trompent pas.
Il les a aimées chaque, toutes, une seule, la même, ensemble.
Dans l’appétit infini du partage de la culture : du son, de l’écriture, du journalisme, de l’histoire de l’art, photographique, filmographique.
Pour les mots.
Pour la chose à dire, à montrer, à écouter.
LES LETTRES.
FEMMES DE LETTRES.
 
À l’ombre et lumière d’une bibliothèque de savoir, de celles qui donnent un enseignement… Mais oui il a dit si souvent et montré son admiration pour elle !
 

Extrait du journal d’Arman, entrée du 31 décembre 1992

« Mademoiselle, vous avez peut-être remarqué que je vous ai vue passer et vous ai suivi plusieurs fois. je me permets de laisser dans votre boite à lettre cette missive. J’ai l’audace de vous demander une chose, si vous n’êtes pas trop irritée par mon comportement. La prochaine fois que nous nous croiserons si vous souriez je me sentirai encouragé dans l’intérêt que je vous porte et dans le désir que j’ai de vous connaitre.
respectueusement,  
Antoine Fernandez

Extrait du journal d’Arman, entrée du 31 décembre 1992.

Je pense qu’il fut encouragé car je suis là pour en témoigner.
Mais ces années 27 — 28 — 29 — 30 — 31 — 32 — portent le poids pour ma mère de l’insécurité et de l’humiliation.
je me souviens de ma mère me tenant dans ses bras et qui pleurait. Aussi loin que je me souvienne des visites de mon père, il restait une partie de la soirée et il repartait pour rentrer chez sa mère. Les questions:  1°) s’ils n’avaient pas perdu leur fortune, est-ce que mon père aurait quand même épousé ma mère ?
2°) Quel fut le rythme régulier jour après jour des visites et durées de séjour de mon père ?
 

3°) Alors que ma mère était enceinte et après ma naissance, comment est-ce que mon père a subvenu à ses besoins puis nos besoins, puisque je crois qu’elle avait arrêté de travailler ?
4°) Quand a-t-il exactement ouvert la pâtisserie ? Je crois me rappeler que ma mère et sa sœur Louise y travaillait. Et combien de temps cette entreprise a-t-elle duré ?
5°) Quand mon père a-t-il annoncé notre existence à sa famille exactement ? Qu’est-ce qui a été dit, quelle a été la réponse et pourquoi avons-nous dû ensuite résider ma mère et moi à Grasse pour que mes parents puissent se marier ?  (ce séjour a eu lieu à l’hôtel Palace de Grasse, un grand Palace traditionnel, et peut-être est-ce alors que j’ai acquis un gout pour les palaces qui m’est resté toute la vie).
6°) Quel a été l’accord passé entre mon père, sa famille et ma mère,

Extrait du journal d’Arman, entrée du 31 décembre 1992

bien que je pense qu’elle n’y pouvait pas dire grand chose, pour les deux appartements loués rue Maréchal Joffre : un grand pour la famille, un petit pour nous. Quel a été exactement l’accord financier passé entre mon père et sa famille ? Pour autant que je me souvienne, il était le soutien de famille, mais tout en donnant la majeure partie de son argent à son père. Je me pose toutes ces questions maintenant, parce que les évènements de ma vie ces dernières années me semblent quelquefois avoir été construits partiellement dans le passé, tout au moins dans mon esprit.
 


BIBLIOTHÈQUE D'ALEXANDRIE

1968

TIRAGE: Unique

TECHNIQUE: Accumulation de combustions

DIMENSIONS EN MM.: 2000 x 1600 x 180

DESCRIPTION: Violons calcinés dans une boîte en plexiglas

HYPATIA!

Et sa bibliothèque d’Alexandrie, femme mythique élevée par son père qui l’initie aux mathématiques et la philosophie. Passée à la postérité des violences subies de s’être faite gardienne du temple de sa bibliothèque, prêtresse de la connaissance dans cette lointaine époque où la chose était mal vue pour une femme. Brûlée, dépecée, traitée de sorcière. Elle a revendiqué de rester… Vierge, pour le droit au non-cuissage.
Brûlée… COMBUSTION…
Dépecée… COUPER… EXPLOSER…
 
 
Cette bibliothèque…
Accumulée pour diffracter, frôler la perte d’identité générée par le nombre. Fil du funambule, s’accrocher à l’ombre d’elle (s), pour tenir serrer ce fil :
Masse critique qu’il recompose.
 
Voilà : L’OBJET — EN SOI —

MILLE FEMMES...

Alors, Arman ; tu la voulais comme ça ? Celle (s) à qui t’adresser.

Sachante, qui osait dire non et le revendiquait.

Tu la voulais, malgré le risque de la peine, de la mort, du danger du corps à corps.

 

De la perdre ?

Elle ?

Ou la maîtrise de ton geste ?

 

Il lève son sourcil sur œil noir, cette expression, elle est bien à lui.

Au-dessus de la concentration à ce qu’il est en train d’accomplir avec un pinceau, à la couleur, au cutter, peu importe, le bout de la langue un peu serré entre les lèvres. Le sourire en coin se plisse au front de quand il va énoncer, l’harmonique accent du midi sur la corde vocale pour la chose un peu paradoxale comme il apprécie :

« — Et ben, c’est gai… »

 

MILLE FEMMES PLUS FEMME QU’UNE FEMME ?

 

Dans son secret des choses ?

Pour brasser l’identité et recomposer à cœur sans concessions chaque reflet de la quantité.

Point d’arrivée : L’UNITÉ…

 

Éternelle…

Féminin.

 

Si le prix de l’éternité en passait par la diffraction à répéter en multiple pour la métamorphose constituée de parvenir à fabriquer le reflet, miroir pour se comprendre et s’y reconnaitre ?

Touchés…

Rendons ses titres de noblesse à cette valeur sûre de l’accumulation sans reculer, ni avoir peur du nombre. Pour honorer et faire devoir de mémoire.

Pardon, pas juste une mémoire, mais de mémoire juste.

 

Marion Moreau,

31 Août 2015.

 

Extrait du journal d’Arman, entrée du 12 mars 1992

Je veux beaucoup mais aussi je donne beaucoup. Je ne parle
pas de ce que je peux donner matériellement mais de ce que j'apporte comme monde, climat, exaltation créatrice, angoisses fondamentales.
etc. etc. et il me faut un dialogue et non un monologue. ya veramos/